Par Clément Costa
9 janvier 2024
MAJ : 15 janvier 2024
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Relecture horrifique du célèbre conte populaire, Hansel et Gretelde Yim Pil-sungest une œuvre aussi troublante qu’intelligente.
Deux ans après son mémorable Antartic Journal, le cinéaste Yim Pil-sung décidait de s’attaquer à un nouveau défi colossal. Avec Hansel et Gretel, il livre une relecture horrifique complexe du célèbre conte merveilleux. Pour s’assurer de ne pas répéter ce que de nombreux cinéastes ont déjà raconté avant lui, le réalisateur coréen s’éloigne considérablement de l’histoire d’origine et en propose une version moderne originale.
La force majeure de ce Hansel et Gretel, c’est sa capacité à jouer sur différents registres tout en proposant un imaginaire saisissant. Le long-métrage conserve des éléments de merveilleux pour les confronter à de l’horreur pure, du fantastique, mais aussi du drame et une touche de réalisme cru. En résulte une œuvre troublante et passionnante qui mérite largement la (re)découverte.
Une famille (presque) parfaite
IL ÉTAIT UNE FROUSSE
La première question cruciale que semble se poser Yim Pil-sung avec Hansel et Gretel est celle de la mise en scène du merveilleux. Loin de vouloir jour ausale gosse un peu crétin qui dépoussière le conte comme le fera plus tard le navrant Hansel & Gretel: Witch Hunters, le cinéaste coréen respecte profondément l’héritage narratif dans lequel il s’inscrit.
Son parti pris esthétique se rapproche du style Tim Burton, sans pour autant tomber dans la pâle copie d’un cinéaste déjà maintes fois imité. Yim Pil-sung opte pour un tournage essentiellement en studio. Les faux décors soigneusement confectionnés et la mise en scène vertigineuse donnent vie à un film visuellement somptueux. D’autant que la réalisation hyperbolique vient renforcer l’atmosphère vénéneuse de ce conte gothique.
Eun-soo et les enfants particuliers
L’autre coup de maître technique se joue du côté du mixage audio. Bruits de mastications amplifiés, grincement de portes et autres effets parasites viennent plonger le spectateur dans un univers à l’étrangeté inquiétante. Ce malaise sonore contraste drastiquement avec les images merveilleuses qui se succèdent à l’écran. Cette technique paradoxale semble saisir un des intérêts essentiels du conte qui consiste à traiter de l’étrange voire du répugnant sous couvert de récit enfantin.
Le contraste constant entre horreur et naïveté de l’enfance se retrouve encore un peu plus clairement du côté de la bande originale. L’idée de génie de Yim Pil-sung était de faire appel au talentueux compositeur Lee Byeong-woo à qui l’on doit notamment les partitions inoubliables de Deux sœurs et The Host. Il offre cette fois-ci à Hansel et Gretel une identité musicale passionnante grâce à de longs thèmes entêtants qui flirtent systématiquement avec les sonorités des berceuses et des comptines. L’horreur musicale aura rarement été plus belle et envoûtante.
Des berceuses dont on ne se réveille pas
LA MAISON DES ENFANTS PERDUS
Tout le long-métrage est animé par une envie profonde de réinventer le conte populaire d’origine. Un des choix forts de Yim Pil-sung va être de supprimer tout simplement la sorcière anthropophage de son récit. Il laisse initialement planer le doute en nous montrant le petit-déjeuner qui est servi aux enfants. Difficile de ne pas y voir une référence aux banquets du conte servant à engraisser les futures victimes de la sorcière. On apprendra cependant plus tard que ce sont les enfants eux-mêmes qui créent ces repas à la simple force de leur imagination.
Pour figure d’antagoniste, Hansel et Gretel va choisir de mettre en scène la monstruosité des enfants. On comprend rapidement que ces trois enfants séquestrent des adultes perdus pour les forcer à devenir des caricatures de parents aimants au beau milieu d’un paradis artificiel sans issue. L’idée de venir pervertir un récit initialement plus linéaire fonctionne à merveille. Et les performances terrifiantes des trois jeunes comédiens viennent sublimer le pari du cinéaste.
La Grande Bouffe
Contrairement à l’histoire d’origine, cette relecture ne se servira donc pas des enfants comme de repères émotionnels du récit. Puisque son long-métrage s’adresse à un public plus âgé que celui des contes populaires, Yim Pil-sung va créer l’empathie et l’identification par le biais du personnage de Eun-soo. Un adulte qui vient de survivre à un accident de la route et qui traverse une crise existentielle dès le début du film.
Par ce choix scénaristique, Hansel et Gretel transforme les thématiques du conte. Le film remplace la peur enfantine de l’inconnu pour une terreur plus mature. L’angoisse de l’échec, de l’enfermement, la réalisation terrifiante que l’on ne maîtrise plus rien. Mais le cœur de l’horreur se situe surtout dans la peur des responsabilités imposées. En début de récit, Eun-soo fuit sa compagne qui attend un enfant. L’ironie du sort le conduit à être recueilli par trois enfants qui exigent de lui qu’il soit un père idéal.
Seul au monde
CONTE (A)MORAL
Le conte populaire contient généralement une morale à portée éducative et aborde de façon symbolique des thèmes relativement complexes. Si son Hansel et Gretel opte pour une morale ambiguë, qui évite toute forme de manichéisme, Yim Pil-sung ne se sert pas de l’horreur uniquement pour provoquer un choc gratuit chez son spectateur. Son film traite métaphoriquement, et parfois frontalement, de nombreuses thématiques délicates.
Le premier thème abordé sera celui des violences domestiques. Une violence des adultes envers les enfants, qu’elle soit physique ou psychologique. Mais une violence qui s’observe également entre adultes dans les différents couples qui se succèdent en tant que faux parents. Le film questionne la toxicité des dynamiques familiales et les dégâts causés par cette violence constante.
Je verrai toujours vos visages
Hansel et Gretel s’attaque aussi au viol et à la pédophilie, autres thèmes particulièrement délicats. Le film se contente d’abord de vagues allusions, mais décide de franchir le pas lors d’un long segment particulièrement choquant sous forme de flash-back. Ces traumatismes viennent complexifier les personnages des enfants, humaniser ceux qu’on nous présentait initialement comme des monstres.
Ces créatures terrifiantes deviennent alors de simples victimes tragiques d’un système trop violent et autoritaire. Face à l’horreur du monde adulte, les enfants du long-métrage ont choisi de se défendre avec une cruauté extrême qui leur semble totalement légitime. Désensibilisés et en quête de repères, ils sont finalement eux aussi prisonniers du labyrinthe qu’ils ont créé.
J’ai rencontré les diables
C’est finalement bien à l’hypocrisie et la violence du monde adulte que Yim Pil-sung semble en vouloir. Le cinéaste multipliera les figures parentales défaillantes et malsaines. Difficile de ne pas penser au couple atypique formé par un homme d’Égliseet une femme autoritaire. Elle ne s’intéresse aux enfants que pour leurs bijoux, lui voit en eux un potentiel exorcisme qui magnifierait sa foi. Si Eun-soo s’en sort, c’est essentiellement parce qu’il est le seul adulte du récit à ne pas manipuler les enfants pour ses propres intérêts.
On retiendra avec Hansel et Gretel un conte horrifique troublant, bien plus complexe que son parti pris initial ne le laisserait penser. Au-delà du triomphe technique et artistique évident, le long-métrage surprend par la beauté de son écriture et la profondeur de ses thématiques. S’il fallait un exemple type de réécriture moderne qui respecte et réinvente le conte populaire, ce serait sans aucun doute celui-là.
Rédacteurs :
Clément Costa
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Mathilde T
il y a 10 mois
Ce film découvert par le hasard du streaming pour ma part mérite vraiment d’être connu, en effet !
g0urAngA
il y a 10 mois
Une petite perle sud coréenne du début des années 2000′. L’époque où le cinéma coréen ne «s’internationalisait» pas encore.
Merci d’avoir mis un coup de projecteur à cette œuvre